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Togo/Entre émancipation et risques géopolitiques : Me Christian Dorma BARANDAO-BAKÉLÉ s’interroge sur les manifestations togolaises

À quelques jours de la manifestation annoncée du 30 août, date symbolique dans l’histoire togolaise, Me Christian Dorma BARANDAO-BAKÉLÉ, avocat au barreau de Luxembourg, propose une réflexion approfondie sur les enjeux qui entourent ces nouvelles manifestations. Dans une tribune intitulée « Une marche de plus… mais dans quel but et au service de quels intérêts ? », l’avocat spécialisé en affaires interroge les motivations et les conséquences potentielles de ces mobilisations.

L’auteur reconnaît d’emblée les difficultés socio-économiques du pays, où « une minorité profite des richesses quand la majorité peine à joindre les deux bouts ». Il attribue en partie la crise actuelle à la transition mal accompagnée vers la Ve République et le régime parlementaire, qui « a été mal expliqué, mal accompagné et insuffisamment débattu ».

Cependant, Me BARANDAO-BAKÉLÉ s’inquiète de voir la jeunesse togolaise, inspirée par les expériences militaires récentes au Mali, au Burkina Faso et au Niger, appeler l’armée à « prendre ses responsabilités pour une transition ».

L’avocat met en lumière un paradoxe. Si la politique intérieure est critiquable, la politique étrangère togolaise mérite selon lui d’être saluée. Il cite notamment la médiation entre la Côte d’Ivoire et le Mali, l’opposition à l’intervention militaire de la CEDEAO au Niger, et le maintien du dialogue avec l’Alliance des États du Sahel (AES). Cette posture non-alignée illustre pour lui « la volonté de Lomé de s’affranchir des directives extérieures et de favoriser les conditions d’un continent qui s’émancipe d’une tutelle extérieure contraire à ses intérêts ».

C’est là que réside le cœur de sa préoccupation : « Du fait de sa posture, Lomé n’est-il pas devenu le premier domino qu’on veut faire tomber pour fragiliser le projet régional de l’AES ? » s’interroge-t-il, observant que les contestations sont « complaisamment relayées par des médias et influenceurs étrangers, souvent hostiles à l’AES ».

Plutôt que la rue, Me BARANDAO-BAKÉLÉ prône un « débat qui nous ressemble, apaisé, franc et inclusif », centré sur les vraies préoccupations : emploi, éducation, culture, entrepreneuriat. Il propose des concertations sectorielles et des assises nationales de la jeunesse comme alternatives constructives.

Lire ci-dessous l’intégralité de la réflexion de Me Christian Dorma BARANDAO-BAKÉLÉ…

« Une marche de plus… mais dans quel but et au service de quels intérêts ?

Le 30 août prochain, date symbolique s’il en est dans l’histoire du Togo, les jeunes togolais sont une fois encore appelés à une nouvelle marche de protestations, avec des revendications allant de la démission du gouvernement au retour à la Constitution de 1992, en passant par la « libération de la connexion internet ». On pourrait sourire de cette dernière demande, mais elle traduit en réalité une jeunesse en manque de repères et privée de perspectives claires d’avenir et dont internet est le moyen principal pour non seulement socialiser, être connecté au mondemais aussi vaquer à ses activités génératrices de revenus.

Sur le plan sécuritaire, la situation n’est peut-être pas dramatique. Mais elle reste préoccupante sur le plan socio-économique , car le Togo semble s’enfoncer encore une fois dans une crise qui relègue au second plan les ambitions de développement d’un pays pourtant riche de talents, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières.

Si nous en sommes là, il faut l’admettre, c’est parce que le passage à la Constitution de la Ve République, et donc au régime parlementaire, qui présente pourtant de réels avantages par rapport au régime présidentiel, a été mal expliqué, mal accompagné et insuffisamment débattu dans ses détails et son impact sur la vie socio-politique. Ce qui devait marquer un nouveau départ est donc devenu une opportunité de déstabilisation du régime. Bien sûr, nul ne contestera que la situation socio-économique est loin d’être brillante : une minorité profite des richesses quand la majorité peine à joindre les deux bouts. Mais si le diagnostic est partagé, le remède proposé l’est moins.

Dans bon nombre de discours qui fleurissent ici et la sur la toile, nombreux sont ceux qui appellent l’armée à se ranger aux cotésdu peuple et à prendre ses responsabilités pour une transition. Cet appel, semble trouver plus que jamais un écho auprès d’une jeunesse influencée par l’expérience de la prise de pouvoir des militaires au Mali, au Burkina faso et au Niger qui a abouti à l’expérience émancipatrice de l’AES dans le Sahel.

A partir de là, il est important de se poser une première question essentielle : la jeunesse togolaise, en quête de changement, ne risque-t-elle pas de servir, sans le vouloir, des intérêts qui sont contraires aux ambitions de cette AES dont elle applaudit pourtant l’action à l’instar d’autres jeunesses du continent ?

Car si la politique intérieure togolaise est critiquable à raison, la politique étrangère, elle, devrait objectivement être plutôt saluée. En effet, on ne peut pas nier que ces dernières années dans une posture non-alignée, le Togo a joué les médiateurs entre la Côte d’Ivoire et le Mali, s’est opposé à l’intervention militaire de la CEDEAO au Niger et a refusé de rompre le dialogue avec les dirigeants de l’AES, permettant notamment à ces derniers de s’assurer d’une ouverture sur la mer  pour ses échanges commerciaux. Cette diplomatie singulière illustre la volonté de Lomé de s’affranchir des directives extérieures et de favoriser les conditions d’un continent qui s’émancipe d’une tutelle extérieure contraire à ses intérêts. Qu’on soit ou non,  un critique virulent du Président du Conseil des Ministres actuel, il serait malhonnête de ne pas mettre ces réussites sur le plan international à son crédit. Dans ce contexte, voir les contestations contre le pouvoir complaisamment relayées par des médias et influenceurs étrangers, souvent hostiles à l’AES, pose une seconde question : Du fait de sa posture, Lomé n’est-il pas devenu le premier domino qu’on veut faire tomber pour fragiliser le projet régional de l’AES?

Avant de descendre dans la rue, la jeunesse togolaise devrait méditer cette question ; car ce qui se passe actuellement au Togo, semble présenter un enjeu géopolitique qui dépasse le cadre de nos frontières. Dès lors, dans cette lutte pour un Togo digne et respecté, il ne s’agit pas pour d’être l’« idiot utile » de causes étrangères qui créerait de faux espoirs aux lendemains qui déchantent comme il y a 30 ans. Il s’agit plutôt de tirer des leçons du passé et d’être le phare d’une jeunesse africaine engagée dans la lutte pour une émancipation réelle.

Le salut de notre pays ne viendra pas de modèles importés, mais d’un débat qui nous ressemble apaisé, franc et inclusif. Il estdonc urgent de recentrer les discussions sur les vrais sujets qui tourmentent la jeunesse et par extension notre nation : emploi, éducation, culture, entrepreneuriat, niveau de vie…etc. Ces solutions existent ; elles ne se trouvent pas dans la rue mais dans la capacité des jeunes à se mobiliser dans leur diversité (artistes, intellectuels, artisans, sportifs et/ou entrepreneurs.). C’est au pouvoir de créer un cadre adéquat pour permettre à cette énergie qui ne demande qu’à contribuer à un Togo meilleur de se révéler enfin. Ceci pourrait passer par  des concertations sectorielles ouencore des assises nationales de la jeunesse, afin de préparer la renaissance togolaise que nous appelons de nos vœux.

Car il n’y a pas, il ne peut pas y avoir deux Togoirréconciliables. Il n’y a qu’un seul peuple, uni par l’histoire et par l’espérance, qui aspire à avancer ensemble dans la Paix. Les solutions existent. Ne les laissons plus nous échapper. Mettons-les en pratique.

Sans tarder

Sans bruit,

Sans violence.

Mais avec détermination…À la Togolaise…»

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