
Le 13 mars 2025, l’annonce de la création de la Banque Confédérale d’Investissement et de Développement pour l’Alliance des États du Sahel (AES) par le président malien Assimi Goita a été saluée comme une avancée majeure vers l’indépendance économique des pays du Sahel. Mais au-delà de l’enthousiasme affiché, cette initiative soulève des interrogations cruciales sur sa viabilité et son impact réel dans une région déjà fragilisée par des crises politiques et sécuritaires. Peut-on réellement construire une souveraineté financière sans une base solide et des instruments adaptés ? Et, surtout, l’AES peut-elle rivaliser avec l’efficacité de la CEDEAO, déjà bien ancrée dans le tissu économique ouest-africain ?
La CEDEAO, en dépit de ses défis internes, a su structurer une coopération économique régionale qui bénéficie d’une stabilité impressionnante, contrairement à l’AES, dont les ambitions semblent plus politiques que véritablement économiques. Cette organisation ouest-africaine s’est construite autour d’un cadre monétaire bien plus solide, celui du franc CFA, géré par la BCEAO, qui bien que contesté, reste un instrument central de la stabilité économique des États membres. La mise en place d’un projet économique crédible ne peut se faire sans une maîtrise de la monnaie, condition sine qua non à toute souveraineté financière. Or, les pays de l’AES, qui continuent d’utiliser le franc CFA, semblent chercher à se libérer d’un système qu’ils n’ont pourtant pas les moyens de remplacer ou de réformer à court terme.
L’annonce de la Banque Confédérale avec un capital de 500 milliards de francs CFA (environ 760 millions d’euros) soulève un autre problème majeur : le manque de moyens financiers face à des enjeux colossaux. Comparé aux fonds mobilisés par des institutions comme la BOAD ou les banques internationales, ce capital semble dérisoire. À cela s’ajoutent les défis de gouvernance et de transparence dans une région où les institutions sont souvent fragiles. Une telle banque pourrait rapidement devenir une simple coquille vide, une vitrine de plus pour masquer l’absence de réformes structurelles substantielles.
La comparaison avec la CEDEAO est alors inévitable. Cette organisation a su, malgré des divergences internes et des difficultés politiques, maintenir une stabilité économique relative. L’intégration progressive de ses membres dans des projets communs et l’existence de mécanismes financiers régionaux permettent à la CEDEAO d’asseoir son rôle de moteur économique en Afrique de l’Ouest. Son modèle repose sur une coopération renforcée entre ses membres, une gestion partagée des ressources et une vision à long terme qui, malgré ses imperfections, semble beaucoup plus pérenne et solide que les velléités de l’AES.
En outre, la CEDEAO bénéficie d’une légitimité internationale, notamment par ses partenariats avec des acteurs économiques mondiaux et ses accords avec les institutions financières internationales. À l’opposé, l’AES se trouve isolée, tant politiquement qu’économiquement, avec des régimes sous sanctions et une absence de véritable ancrage dans les grandes places financières mondiales. L’ambition de se libérer des « chaînes » imposées par des acteurs extérieurs est louable, mais elle doit se traduire par des actions concrètes et des réformes internes plutôt que par des déclarations et des projets bancaires sans fondations solides.
Le véritable défi pour les pays du Sahel réside dans leur capacité à réformer de l’intérieur, à renforcer la gouvernance économique et à négocier de manière plus favorable leur place dans des structures comme la CEDEAO, tout en développant des politiques économiques locales robustes. S’enfermer dans une logique de rupture avec les institutions régionales existantes pourrait condamner les États de l’AES à l’isolement et à l’impuissance économique.
En définitive, la Banque Confédérale de l’AES pourrait bien n’être qu’un mirage politique, une tentative de légitimation des régimes en place, sans réelle capacité à transformer le tissu économique de la région. L’expérience de la CEDEAO, bien que perfectible, montre qu’une stabilité économique durable se construit dans la coopération, la solidité des institutions et une gouvernance transparente, des éléments qui font cruellement défaut à l’Alliance des États du Sahel.