À ma grande surprise, j’ai découvert que le sentiment anti-français s’est répandu jusqu’à l’intérieur du pays. Allant un jour visiter la famille à 100km de Lomé, j’approche d’un groupe de jeunes à qui je voulais demander un renseignement concernant un chemin à prendre, à cause de travaux qui ont occasionné des détours. Instinctivement, je leur pose ma question en français.
Au lieu d’une réponse à ma question, je m’entends dire en mina, une langue parlée dans le sud : ici au village on ne veut plus entendre parler cette langue des colons, qui nous pillent et qui ne soutiennent que les puissants qui nous oppressent Surpris ! Je repose donc ma question en mina. La bonne réponse à ma question comme un jet fuse. Sans rien dire, à part, remercier ces jeunes gens, je prends, un peu choqué par la brutalité de leurs propos, la direction indiquée. Il était 10h du matin.
J’ai vaqué à mes occupations, mais avec constamment en tête cette étrange remarque sur la langue.
Me voilà de retour au même endroit autour de 16h pour reprendre la direction de Lomé. Je revois quelques uns des jeunes qui m’avaient indiqué le chemin le matin. Je décide donc de m’arrêter une demie-heure pour taper une petite discussion avec eux.
Le choc fut terrible ! La France ci, la France ça. Tous leurs problèmes, les difficultés scolaires, les difficultés des parents à subvenir à leurs besoins, l’impossibilité de rêver d’une meilleure vie, le manque d’infrastructures routières, hospitalières etc. sont du fait de la FRANCE, parce que non seulement elle pille, selon eux, leurs ressources naturelles, mais elle soutient des régimes qui les oppressent. Les droits de l’homme sont à géométrie variable selon les intérêts qu’elle [ la France] a à préserver.
Impossible d’installer entre eux et moi une autre lecture possible. C’est la faute à la France demeure le refrain qui symbolise leur misère, leur malheur. Grande donc était ma stupéfaction devant un tel rejet. Le moins que l’on puisse dire est que ces jeunes gens n’ont pas entièrement tort sur certains points, mais il me semble évident que la passion l’emporte sur la raison, et tout jugement objectif est écrasé sous une mêlée d’ignorances. Que convient-il de faire pour rétablir non pas des vérités, mais quelques éclairages, surtout avec l’idée en arrière plan de renouer les liens, un certain fil avec la France. Pays, certes, responsable de bien de choses critiquables, mais pas forcément, toujours coupable de tout.
Comme l’ai-je décidé : je vais très régulièrement refaire ce voyage pour au moins maintenir le dialogue avec ces jeunes…et petit à petit, au fil du temps, la passion qui aveugle l’intégrité de tout jugement se dépaissit. Elle va se désagréger pour laisser la place à une curiosité de savoir, d’être mieux informé. Bref, d’avoir un arsenal d’arguments mieux éclairés pour mieux se forger une opinion plus intègre. Le lien est désormais permanent, des déjeuners se font. bientôt de petites escapades prévues pour distraire l’esprit, le détresser. De petites aides symboliques qui mettent un bout de gras dans l’éternelle sauce avec l’éternel et souvent inabordable Apkala ( poisson fumé).
Le chemin est long ; le mal profond, mais l’espoir d’une meilleure vision des choses est grand. Et plus important : l’espoir d’un mieux être.
Firmin AGBODJAN
