Chroniques

«Dans le contexte actuel le pouvoir judiciaire ne peut plus continuer à jouer au garçon de course de l’exécutif.» : Madi Djabakaté

«il n’y a jamais de bonnes raisons pour cacher une vérité.» Quand je vois comment on s’amuse avec la condition de nos concitoyens je suis choqué. Si j’ai bonne mémoire, au début du dialogue en février il avait été convenu de libérer tous ceux qui étaient arrêtés dans le cadre des manifestations publiques pour ne pas dire suite à la politisation de l’appareil judiciaire. J’ai été étonné de lire un communiqué de la cellule de communication de la Présidence de la République parlant de réduction de peine et de liberté provisoire pour 19 togolais grâce à l’implication du Président Faure Gnassingbé. Mais surtout il est renvoyé sine die la libération des autres détenus. Pourquoi faire trainer ce dossier ? Depuis là qu’est ce qui empêche de libérer toutes ces personnes surtout qu’on libère déjà certains de façon provisoire ? Je ne veux pas créer des polémiques autour de la véracité des faits qui leurs sont reprochés car pour le moment je veux me limiter à reconnaitre les reproches qui leurs sont faits. Si j’étais originaire d’un pays où la justice avait une jurisprudence en matière d’indépendance, j’aurais juste dis de les libérer de façon provisoire en attendant que la justice n’établisse les responsabilités. Je reste convaincu que si la bonne foi prévaut, il n’y a pas besoin de continuer par garder ces togolais en détention puisqu’on constate que le gouvernement est dans la logique de noircir les casiers judiciaires avant de redonner la liberté. Ces situations interpellent quand vous constatez que des gens sont privés de liberté après avoir été kidnappés en pleine circulation au motif d’avoir fait des rapports que le gouvernement conteste. Et pourtant, depuis août 2017, je dénote une communication d’état visant à assimiler un parti politique légalement constitué à une nébuleuse terroriste. Je suis désolé mais on ne peut pas condamner quand on est incapable de donner l’exemple. La semaine passée j’avais publié un post pour lequel beaucoup d’entre vous m’ont écrit. Dans ce post je disais qu’il n’y a jamais de bonnes raisons pour cacher une vérité.

«Dans le contexte actuel le pouvoir judiciaire ne peut plus continuer à jouer au garçon de course de l’exécutif.»
Nous nous engageons parce que épris du désir de défendre des causes plus importantes que notre vie. Mais ça ne veut pas dire que nous sommes candidats à la mort. Nous voulons juste être en paix avec notre conscience. Même si ce n’est plus la chose la mieux partagée sur la terre de nos aïeux. Pour ma part, il faut qu’on cesse avec cette façon de faire qui contribue à empêcher l’avènement d’un environnement propice pour la société civile et la liberté d’expression. J’en appelle à ceux qui ont le pouvoir sous ses différentes formes à agir. Dans le contexte actuel le pouvoir judiciaire ne peut plus continuer à jouer au garçon de course de l’exécutif. Je ne suis pas bien placé pour rappeler à l’actuel ministre de la justice ses rendez-vous manqués avec l’histoire des droits de l’homme et du combat démocratique. A mes cousines et cousins magistrats qui ont le privilège de ne pas être pris en compte par le statut de la fonction publique permettez-moi d’être toujours mal placé pour vous rappeler que votre statut particulier n’a pas de raison d’être si vous ne pouvez pas vous affirmer. Souffrez que je m’attarde sur l’existence de corrélations entre votre refus d’agir de façon indépendante et l’érosion constante de la confiance entre les justiciables et vous. Comment pouvez-vous laisser trainer des dossiers pour lesquels vous savez manifestement que ce sont des règlements de compte politiques ? Dans le kidnapping des prédicateurs proches du leader du PNP, je continue par me demander quelle est cette personne, c’est malgré moi que j’utilise le terme de Juge car à mes yeux il n’en n’est plus digne, qui attise la dévalorisation du corps de la magistrature pour avoir délivré des mandats (d’amener ou de dépôt) en dehors des heures régulières ? Si vous jugez cela urgent, souffrez que je vous rappelle les urgences qui trainent dans vos cabinets depuis des années. Les services de sécurité se comportent en voyous car ils ne craignent aucune autorité judiciaire. Si le pouvoir judiciaire existait, ces libérations n’auraient pas été faites par charité présidentielle. C’est bien là une situation qui rappelle la nécessité d’opérer des réformes. Le pouvoir judiciaire en sera surement l’un des premiers bénéficiaires. Et c’est pour ça que ces jeunes essaient, malgré la violente répression, de maintenir la flamme de l’indignation. Et c’est convaincu de la justesse de leur cause que les arrestations ne freinent pas l’élan de ceux d’entre eux qui sont encore en liberté. Ces jeunes ont surement lu A. Philip Randolph selon qui «la liberté n’est jamais donnée, elle se gagne. La justice n’est jamais donnée, on l’exige». Chers cousins et cousines, je nous invite à bien comprendre et a clairement analyser la mécanique du changement pour assumer vos responsabilités. Ce n’est pas à moi de vous rappeler que la complicité n’est pas seulement par action mais aussi par inaction. Mais je ne peux me retenir l’écrire. Combien de discours au Togo ne réduisent pas le problème togolais à la frange du clan Gnassingbé ? Des stratégies d’action partent du postulat que le changement de Faure Gnassingbé suffira à induire un changement social durable. Le changement de Faure Gnassingbé est, certes, indispensable à l’efficacité du combat pour le Togo démocratique, mais le repérage et l’examen des nombreuses dimensions de pouvoir qui conditionnent notre situation pourraient notamment nous révéler pourquoi son père a repris le contrôle après la conférence nationale souveraine ou non selon les camps. Je voudrais juste dire que nous sommes dans un mécanisme complexe ou chacun des trois pouvoirs répertoriés par Montesquieu a en premier chef la responsabilité de l’échec de la construction de la cité. Mes cousins du pouvoir judiciaire, je pense que vous saurez faire votre part. Mes cousins du législatif, je vous invite à suivre nos cousins du parlement béninois pour comprendre que le travail de député n’a rien à voir avec la solidarité faite par les moutons de panurge. Rappelons-nous que nous sommes dans un espace communautaire ou notre façon de nous distinguer négativement commence par saouler. Nous devons comprendre que des facteurs sociaux et culturels influencent la façon dont les citoyens voient le monde, la façon dont ils se comportent et les raisons pour lesquelles ils engagent ou non des actions positives. Je ne saurai terminer sans nous démontrer le rapport entre le pouvoir pris comme une entité unique et le pouvoir pris comme plusieurs aspects contribuant à la formation de l’entité unique. En fait, le pouvoir n’est pas statique. Ce n’est pas une ressource limitée. Les acteurs sociaux et leurs réseaux peuvent l’utiliser, le partager ou le façonner de diverses manières. On peut par exemple considérer que des relations de pouvoir ou des rapports de force inégaux constituent une forme de contrôle qu’un groupe de personnes (la minorité en français togolais) exerce SUR d’autres groupes (la majorité en français togolaise). Le pouvoir « SUR » se décline de diverses manières afin de préserver le statu quo et de dissuader les personnes et les groupes pauvres et exclus d’exercer leurs droits. Mais le pouvoir peut également être une force positive de changement personnel et social et d’action positive. Le pouvoir « DE » : décrit la capacité d’agir, de faire et de concrétiser ses droits potentiels, sa citoyenneté et son discours. Le pouvoir « AU SEIN DE » : décrit l’acquisition d’un sentiment identitaire, d’une confiance et d’une prise de conscience de soi qui sont autant de conditions préalables à l’action. Le pouvoir « AVEC » : décrit les synergies qui peuvent apparaître au travers d’un partenariat et d’une collaboration, ou au travers d’actions collectives et de création d’alliances. Donc à chacun son choix de pouvoir pour mettre fin aux détentions politiques. C’EST JUSTE UNE QUESTION DE MORALE. Il y a encore 53 détenus politiques selon des informations qui me sont parvenues : DETENUS A LA PRISON DE DAPAONG 1. Boukari Moussa 2. Zakari Adam 3. Nanda Alimiyao 4. Babakan Mousbaou 5. Bassongou Moussa 6. Yaoba Awali. DETENUS A LA PRISON DE MANGO 7. Bawa Abdermane 8. Issa Ibrahim 9. Abdoulaye Zekeria 10. Bio Zoulkifilou 11. Djore Yaya 12. Abdoulaye Seydou. DETENUS A LA PRISON DE KARA 13. Tchaoussi A. Ganiou 14. Kpelafia Fataou 15. Tchao Fatiou 16. Ouro- Djeri Bouwessodjo 17. Aledji Manaf 18. Samadou Arimiawou. DETENUS A LA PRISON DE SOKODE 19. Mohammed Nouridine 20. Kouhan Noël 21. Biyao Awali 22. Agrignan Ouro -Koura 23. Ouro-Gbele Alilou 24. Traoré Sani 25. Tchatchamina Assimiou 26. Tchakondo Ali 27. Younar Yakaram 28. Assoumanou Rachidou 29. Bouraima Inoussa 30. Tidjani A. Djabarou 31. Ouro-Yondou Achraf 32. Ouro-Bodi Teibou 33. Assoumanou Razak 34. Bouraima Kabirou 35. N’Sangui Ibrahim 36. Abdoulaye Abdou Latifou 37. Aboubakar Mousbaou 38. Issifou Chadane 39. Meba Matomkassaleh 40. Tchekpi Hodabalo. DETENUS A LA PRISON DE LOME 41. Assiba Johnson 42. Ali Tchassanti Akilou 43. Ouro Salimou Soulenane 44. Kokodoko Messenth 45. Tchabana Messaoud 46. Badaro Mouari 47. Assoumanou Abrof 48. Adam Nazifou 49. Adam Latifou 50. Kpogra Alassani Daouda 51. Eza Joseph 52. Adoi Saidou 53. Ouro Gnaou Nazifou A la suite de cette liste de détenus, je ne vais pas me priver de partager avec vous la citation du prisonnier légendaire Nelson Mandela pour qui «priver les gens de leurs droits fondamentaux revient à contester leur humanité même». Car en faisant ainsi nous ne devons pas être surpris de voir le vivre ensemble remis en cause. L’homme au rêve prémonitoire légendaire, Martin Luther King, a dit en son temps que «la moindre injustice, où qu’elle soit commise, menace l’édifice tout entier.». Nous devons faire notre part. Je fais la mienne. Mais elle sera improductive si nos frères du judiciaire ne s’impliquent pas. Chers cousines et cousins de la magistrature au début de ce message je comptais indexer seulement le magistrat suprême. Mais au fil de la rédaction, je me rends compte qu’Irène Khan a raison de rappeler qu’ «il ne peut pas y avoir de paix sans justice et respect des droits humains». Et sans l’implication des magistrats, il n’y aura pas de justice au Togo. Et sans justice au Togo on ne doit plus s’étonner du non-respect des droits humains. C’est pourquoi je vais terminer ce message par un extrait de la réflexion du Juge Aharon Barak qui s’ « oppose à l’idée que le juge ne fait que dire le droit mais ne le crée jamais. Il s’agit là d’une approche fictive, voire puérile ; la théorie de Montesquieu selon laquelle le juge n’est pas plus que la bouche par laquelle le droit s’exprime est pareillement discréditée. Je suppose que la plupart des juges (…) estiment qu’en plus que de dire le droit, ils le créent parfois. En ce qui concerne la common law, c’est certainement le cas : aucun des systèmes juridiques apparentés à la common law n’est ce qu’il était il y a cinquante ans et les juges sont responsables de ces changements ; cette évolution implique une part de créativité et il en va de même en ce qui concerne l’interprétation des textes juridiques. La signification de la loi avant et après une décision judiciaire n’est pas la même. Avant la décision, dans les cas difficiles, il y a plusieurs solutions possibles. Après la décision, la loi est ce que la décision a dit qu’elle est. La signification de la loi a changé. Un droit nouveau a été créé. Quel est mon rôle en tant que juge dans ce processus créatif ? Lorsque je dis rôle du juge, je n’entends pas suggérer que le juge a un agenda politique. En tant que juge, je n’ai pas d’agenda politique. Je ne m’engage dans aucune politique partisane, ni dans la politique quelle qu’elle soit. Mon souci est celui de la politique judiciaire, c’est-à-dire de la formulation d’une approche systématique, fondée sur des principes, pour exercer mon pouvoir d’appréciation. Je me pose la question de savoir si les juges exerçant dans les Cours suprêmes, et qui établissent des précédents pour d’autres Cours, ont–ou devraient avoir – une politique judiciaire sur la manière dont nous exerçons notre appréciation. Je voudrais approfondir la philosophie judiciaire qui sous-tend notre rôle de juge des plus hautes instances de nos démocraties. Différents juges apporteront différentes réponses à la question. Ces différences résultent de la diversité de l’éducation que nous recevons, de nos personnalités, de notre réaction face au monde qui nous entoure et de la vision du monde dans lequel nous vivons. Cela est tout à fait naturel. Chaque juge est en soi un monde à lui seul ou à elle seule, et nous ne souhaiterions pas qu’il en soit autrement. Le pluralisme idéologique et non pas l’uniformité idéologique est l’atout des juges dans les systèmes juridiques démocratiques. La diversité des juges reflète, mais ne représente pas, la diversité des opinions existant dans leur société. Mais il me semble que beaucoup d’entre nous seraient d’accord pour dire que la question que j’ai posée est au cœur de notre fonction de juge, même si nous avions des avis différents quant à la réponse appropriée. Notre politique et notre philosophie judiciaires sont d’une importance fondamentale, puisque ce sont elles qui nous guident dans nos moments les plus difficiles auxquels chaque juge (…) est confronté un jour ou l’autre. Elles nous façonnent et nous donnent confiance en nous-mêmes. Elles nous enseignent que notre force en tant que juge réside en ce que nous avons conscience de nos limites. Elles nous enseignent que, plus que des réponses aux difficiles problèmes juridiques que nous avons à résoudre, nous avons des questions concernant la voie à suivre. Elles nous font comprendre que, comme tous les êtres humains, nous pouvons nous tromper, et nous devons avoir le courage de reconnaître nos erreurs. Enfin, elles nous mènent à la philosophie judiciaire qui nous est appropriée, et il n’y a rien de plus pratique qu’une bonne philosophie judiciaire. La philosophie judiciaire que je propose ne s’applique qu’au juge exerçant dans une (…) démocratie. Je ne traite pas ici des sociétés qui ne sont pas démocratiques. Le caractère démocratique d’un régime façonne le rôle de tous les pouvoirs de l’État. Le pouvoir judiciaire aussi en est directement affecté. Par exemple, l’indépendance du pouvoir judiciaire est une condition primordiale pour comprendre le rôle judiciaire. En général, cette condition n’existe pas dans les régimes non démocratiques. Qui plus est, le caractère du régime a des implications sur le système d’interprétation que le juge doit adopter. Un juge ne doit pas faire progresser le dessein d’un législateur non démocratique. Il doit s’interdire de donner expression à des valeurs non démocratiques ». Je m’arrête ici. Restons mobilisées pour que ces togolais retrouvent la liberté et continuent d’exprimer leurs opinions politiques. Rendez-vous vendredi prochain Inch Allah. MADI DJABAKATE Votre Cousin]]>

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