Le tragique accident survenu à Agoè-Zongo, ayant causé la mort de huit personnes et fait plusieurs blessés, a plongé les habitants dans l’émotion et le débat. Nikada Batchoudi, Président de l’Afrika Compliance Academy (ACA), est intervenu pour proposer une réflexion juridique approfondie, invitant à dépasser les accusations émotionnelles souvent dirigées contre l’État.
Dans sa déclaration, le juriste souligne que les réactions enregistrées sur les réseaux sociaux, bien que compréhensibles, manquent parfois de rigueur dans l’attribution des responsabilités. Les accusations se sont concentrées sur plusieurs aspects : l’absence supposée de signalisation adéquate, la qualité de l’ouvrage ou encore l’imprudence des conducteurs. Pourtant, pour lui, seule une analyse fondée sur les principes de droit permet d’éclairer une telle situation.
S’appuyant sur l’article 1384 du Code civil, qui traite de la responsabilité civile du fait des choses, il explique que trois éléments doivent être examinés : la chose en cause, son éventuel comportement anormal et la garde de celle-ci. Selon lui, si la passerelle percutée constitue bien une « chose » au sens juridique, rien n’indique qu’elle était dans une position anormale ou imprévisible pour un usager prudent. La passerelle, installée depuis plusieurs mois sans incident similaire, ne présentait pas de danger apparent.
Pour Nikada Batchoudi, l’imprudence du conducteur du poids lourd semble être l’élément déterminant de l’accident. La conduite de nuit, les éventuelles mauvaises conditions météorologiques et l’utilisation d’un véhicule dépassant le gabarit autorisé pourraient constituer des fautes.
Il conclut que l’État, propriétaire de l’ouvrage, pourrait difficilement être tenu responsable dans ce cas précis. Cependant, les victimes disposent toujours de voies de recours contre le conducteur et son assurance, sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil, qui prévoient la réparation des dommages causés par une faute ou une négligence.
Dans sa déclaration, Nikada Batchoudi appelle à la prudence et à l’objectivité dans les analyses. « La compassion et le côté humain poussent à souvent s’écarter des règles préétablies et à abuser du dos large de l’État, mais le droit finit toujours par rattraper et imposer une lecture cohérente », affirme-t-il.
Face à ce drame, il exprime sa solidarité avec les familles endeuillées tout en exhortant à une conduite responsable sur les routes.
Intégralité du message de Nikada Batchoudi :
« Au cours de la journée du vendredi 13 décembre 2024, nous avons tous été informé via les réseaux sociaux du drame d’Agoè-Zongo .
Relativement au communiqué du ministère de la sécurité, on déplore malheureusement 8 morts et des blessés.
Comme toujours, cela a engendré des discussions et débats pour situer les responsabilités ; ceux qui pouvaient déverser leurs colères politiques n’ont donc pas pris de gants, et ceux qui avaient des comptes à régler en ont profité.
La question qui s’est plus posée était relative à la responsabilité.
Pour d’aucuns le pont ou passerelle cogné n’avait pas de signalisation, pour d’autres cela soulève la qualité de l’ouvrage et la preuve du gangrainement de la corruption dans notre pays, certains relèvent l’imprudence de nos conducteurs notamment les poids lourds etc…
Si toutes ces idées ne sont pas négligeables, il est très important d’avoir le regard du juriste et son analyse. Qui est véritablement responsable ? l’Etat pour n’avoir pas indiqué la hauteur et les voitures susceptibles de passer en dessous du pont ? de n’avoir pas pris les dispositions pour faire passer tous les véhicules ? le chauffeur qui aurait utilisé une voiture qui dépasse une gabarie normale ?
Face à cela et à un samedi assez libre et aussi l’envie que donne ce cas de faire une réflexion sur la responsabilité du fait des choses (Article 1384 Al1 du Code civil), l’on se donnera le plaisir de se prêter à l’exercice d’une analyse et de faire ainsi un apport pour une vision éclairée de la situation.
Pour rappel, l’article 1384 Al1 dispose : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde » .
De qui vient le dommage ? qui doit répondre en matière de responsabilité ? qui a la garde du pont d’Agoè-Zongo ? les conditions de la responsabilité civile sont-elles établies ?
Pour répondre à ces questions il faut rappeler les conditions d’une responsabilité civile du fait des chose :
Une chose, le fait de la chose et la garde de la chose.
La chose ici reste simple à identifier ; c’est bien le pont (1ère condition remplie)
Le fait de la chose : Pour établir le fait de la chose, la jurisprudence adopte une démarche assez singulière. Les juges se demandent si l’on est en face d’une chose inerte ou d’une chose en mouvement.
Lorsque la chose a été en mouvement et qu’il y a eu un contact matériel entre la chose et la victime, le fait de la chose est présumé.
Dans le cas de l’espèce, il s’agit d’une chose inerte et donc il faudra rapporter la preuve de sa position ou comportement anormal.
Le Pont Agoè-Zongo était-il dans une position anormale ?
Selon la jurisprudence, une chose est anormale si son état n’était pas raisonnablement prévisible ; elle est normale si elle présente pour une personne moyennement prudente, diligente et aisée, compte tenu des expérience de la vie, les caractéristiques habituelles.
Au cas, on ne saurait parler d’un état raisonnablement imprévisible du pont d’Agoè-Zongo car ce pont existe pratiquement depuis plusieurs mois. Rien n’a en principe présumé qu’il était en position anormale. On peut aussi dire qu’il est normal au sens où il présente pour une personne moyennement prudente, diligente et aisée des caractéristiques habituelles.
Certaines conditions pouvaient faire basculer ce point :
– Une première pour le conducteur d’emprunter cette voie
– Une conduite de nuit
– Les conditions météorologique défavorables pouvant altérer la visibilité etc…
Mais quoi qu’il en soit, il sera très difficile de rapporter une éventuelle position anormale du pont car une position anormale aurait déjà eu des antécédents, et le fait qu’il n’y en ai pas eu à ce jour fait dire qu’il n’a rien d’imprévisible. Plus encore l’absence d’antécédents et d’une façons objective, la prudence et la diligence aurait pu empêcher cet incident. Aussi la violence du choc peut justifier l’imprudence.
La seconde condition de la responsabilité n’étant pas remplie, on pourrait s’arrêter là et exonérer l’Etat et déduire qu’il n’en est aucunement responsable de l’imprudence des usagers de la route et dire clairement qu’il n’ y a pas de responsabilité du fait du pont.
Toutefois, quand à la dernière condition, elle reste évidente car l’Etat reste propriétaire de la route et ses accessoires.
Si la responsabilité du fait des choses est donc écartée, il faut dire que rien ne pourra empêcher les parties à évoquer une responsabilité pour faute fondée sur l’article 1382 ou l’imprudence ou négligence fondée sur la 1383.
Une faute, un dommage et un lien de causalité.
Action du conducteur contre l’Etat : il faudra arriver à prouver la faute ou l’imprudence de de l’Etat, ce qu’on a difficilement détecté plus haut bien que le dommage et le lien de causalité restent évident.
Action de l’Etat contre le conducteur et son assurance : la faute ou l’imprudence le faite d’avoir cogné le pont, le dommage qui est évident tout comme le lien de causalité.
Au vu de l’analyse, l’Etat est bien parti pour remporter un éventuel procès, se faire réparer sa passerelle et demander des dédommagements pour les dégâts matériels.
Les victimes aussi peuvent donc intenter une action fondée sur la faute ou l’imprudence et la négligence à l’égard du conducteur et son assureur.
En somme, il reste important de faire des analyses rigoureuses et faire souvent des requalifications juridiques des faits. Le droit obéit à des démarches assez cohérentes qui ne s’allient pas avec les émotions. La compassion et le coté humain poussent à souvent s’écarter des règles préétablies et à abuser du dos large de l’Etat (facile de l’accuser) mais le droit fini par rattraper et se faire dire.
Que Dieu apaise les cœurs.
Nikada BATCHOUDI,
CEO du Cabinet Afrika Compliance Academy,
Promoteur de la Grande Rencontre des Compliance et Risk Officers au Togo »