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Togo/Nouvelle Constitution : Nikada Batchoudi analyse les enjeux et les perspectives pour la jeunesse

Nikada BATCHOUDI ne trouve pas d'inconvénient à un changement de république mais relève des failles et inconforts dans la proposition de loi des députés.

Alors que le Togo envisage une révision constitutionnelle, Nikada Batchoudi, président de la « Diaspora pour la citoyenneté » et expert en conformité juridique au Luxembourg, porte un regard critique sur les défis et les opportunités qui se présentent, en particulier pour la jeunesse. Dans une analyse perspicace, il met en évidence l’urgence d’une refonte du pacte social tout en soulignant la nécessité d’un dialogue inclusif et réfléchi pour façonner l’avenir constitutionnel du pays. Lire ci-dessous l’intégralité de son analyse…

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«Difficile aujourd’hui de rester silencieux face à l’histoire constitutionnelle de notre pays.

Ce moment au-delà d’être historique, en reste spécial pour notre jeunesse.

Il faut dire que notre jeunesse est à un rendez-vous car elle aurait hérité de la constitution de la IVème république (1992) sans véritablement avoir la capacité de se soustraire à ses effets.
Nombreux de notre génération en 1992 n’avaient pas la majorité. Les majeurs de 1992 devraient avoir au minimum 50 ans aujourd’hui. Notre jeunesse aujourd’hui a la chance de refixer les bases d’un pacte social vierge.

Certainement dès le début, de mes écrits on se demande une chose : Que va-t-il dire ? *est-il pour une modification constitutionnelle ?

D’emblée, je dirai ne pas trouver d’inconvénients à un changement constitutionnel à la condition d’avoir des garanties… je m’explique.

– Une constitution de 1992 trop mutilée :
Référendum du 27 septembre 1992, révision du 31 décembre 2002, modification du 7 février 2007, modification du 15 mai 2019, sans parler des moments où cette constitution a été mise en stand by pour des accords cadres…. A force d’être prise de là à là, ce texte aurait perdu son esprit et à la fin serait devenu trop fragile pour un peuple. Combien de Togolais aujourd’hui peuvent brandir en toute fierté cette constitution et dire qu’elle est la norme supérieure ? dire qu’elle régit véritablement le fonctionnement des pouvoirs et institutions ?

Sans surtout parler des moments où certains se sont désolidarisés ou quand les communications sont devenues tendues.

– Une constitution de 1992 calquée :
Malheureusement, quand on parle de notre constitution de 1992, il ne nous vient à l’esprit que certains acteurs qui n’ont pas nécessairement fait du bien à notre histoire politique. Elle est plus le reflet de cette ancienne classe politique qui s’est laissée ronger par les conflits ethniques, tribalistes et partisans.

– Une constitution d’une précédente génération :
On serait tenté de dire qu’à chaque génération sa constitution.
En effet, « les constitutions ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil », elles sont donc appelées à s’adapter aux impératifs et aux évolutions. Cette assertion ne vient pas pour me contredire , mais c’est pour dire que les constitutions sont appelées à être modifiées pour des raisons d’intérêt général et non pour favoriser un parti.

Si l’on est partisan d’une éventuelle modification constitutionnelle notamment un changement de République, la proposition de loi soumise au président de la République fourni t-elle suffisamment de garantie ?

En effet, nous ne devons pas rester figés. Quand de telles situations se posent, il convient de prendre le recul nécessaire et se poser la question « qu’est ce qu’ils proposent ? »

Dans la foulée, une question m’a été posée par rapport à la légalité de la procédure de révision enclenchée par les députés… la procédure est-elle légale ?

Malheureusement oui ; nous avons été victime des mécanismes juridiques. L’article 144 dispose qu’avec 4/5 des députés , le projet ou proposition de révision est considéré comme adopté. Il fallait juste 73 députés pour faire acter la précédente proposition. En deçà on aurait eu la chance d’être consulté (le référendum).

Quant à l’article 59 : le président est élu pour un mandat de 5 ans. Cette disposition ne peut-être modifiée que par voie référendaire.
Encore une fois, le texte est assez clair. On parle que de la modification du mandat ; or nous sommes ici dans le cas d’un changement de toute la constitution et non que du mandat. « cette disposition » pour parler que du mandat.

Quant au mandat expiré des députés, l’article 158 de la constitution dispose : « la législation en vigueur au Togo, jusqu’à la mise en place de nouvelles institutions, reste applicable, sauf intervention de nouveaux textes, et dès lors qu’elle n’a rien de contraire à la présente constitution.». Depuis lors, plusieurs textes sont quand même passés sans véritablement débat et celui encours devrait en principe suivre la même logique… mais les réactions se comprennent car il s’agit ici d’un texte fondamental.

Je posais une question plus haut : Que nous proposent-ils ?

Si nous sommes d’accord pour un changement de république, il faut toutefois souligner certains inconforts dans la proposition :
-l’article 11 : « tout député ou tout sénateur qui en cours de mandat, quitte son parti politique ou démissionne ou est définitivement exclu de sa formation politique, perd automatiquement son siège à l’assemblée national ou au sénat »
Si on peut aisément l’admettre pour les membres du Sénat qui sont à 2/3 des représentants et 1/3 des nommés cela constituerait une véritable aberration quand aux députés. Le député certes va à la législature par le mandat de son parti mais après ça il ne représente pas du tout son parti à l’assemblée, il devient alors représentant du peuple. On n’est pas député pour servir un parti mais pour être pour le peuple.

Cet article rend dépendant les futurs députés et les fragilise dans leur conscience professionnelle ; ce qui ne devrait pas en être le cas surtout que nous allons vers un régime parlementaire. Pour une véritable efficacité ou réussite de ce nouveau régime vers lequel nous allons, il faut donner suffisamment les moyens aux parlementaires pour contrôler l’action gouvernemental et servir impartialement l’intérêt général. On ne saurait aller à un régime parlementaire avec des méthodes présidentielles.

Quant à l’article 36 : On ne pourrait faire une réforme à reculons. En effet, le précédent texte fixe l’âge du Président de la République à 35 ans tandis que la proposition la fixe à 50 ans. Il est certes vrai que les pouvoirs ne sont pas les mêmes mais à l’ère d’aujourd’hui, il n’y a plus d’intérêt à catégoriser les responsabilités. A 30 ans aujourd’hui on peut valablement diriger un pays… nous en avons les capacités.
Quant à l’article 37 : Pourquoi un mandat unique pour le président de la république ?

Vu qu’il est le symbole de l’unité nationale, il faut pouvoir le garder plus longtemps. Il faut arriver à rendre le symbole assez stable au risque de chosifier à la fin le poste de la présidence et de le rendre vulgaire comme un pagne à changer tous les 6 ans.

Quant au Président du Conseil, comme dit plus haut, la Vème république devra être la constitution de la nouvelle génération et devra être consacrée à la jeunesse. Il serait judicieux de revoir l’âge afin de donner plus de chance à la jeunesse. En fixant l’âge du Président du Conseil à 40 or de facto serait issu de la majorité parlementaire, sans s’en rendre compte on gèle la carrière du jeune législateur de 25 ans pour 15 années. Il faudra revoir l’âge afin de permettre aux jeunes de vite monter en responsabilité. Si l’on admet qu’il faut 25 ans pour être député, il faudra aussi admettre qu’il puisse être possible d’être chef de la majorité à 25 ans.

Il serait aussi très important pour des raisons d’élégance et de légitimité que le Président du Conseil passe lui-même par une élection législative… en simple il faudra être député avant de pouvoir être Président du conseil. Cela semble avoir du sens car on risquerait d’avoir un PC qui pourrait échapper totalement à un mandat de base. Ça serait très confortable que dans le contexte où le dirigeant effectif ressort de la majorité parlementaire, lui donner une légitimité de base.

Il faut pouvoir être représentant du peuple avant de pouvoir être PC.
Quant au mandat du Président du Conseil, l’idéal aurait été de le limiter mais il y a peu d’arguments juridiques pour le dire. On ne saurait demander à un parti organisé et structuré, ayant choisi en interne son représentant , de ne pas positionner son meilleur attaquant comme Président du Conseil. A le faire cela porterait atteinte à l’intimité des partis politiques. *Mais l’autre charme de cet aspect est que le peuple reste détenteur de la limitation des mandats.* Il suffirait de basculer la majorité lors du vote des députés pour arrêter le mandat du PC. En l’absence de la majorité , son pouvoir s’arrête.

Aussi la motion de censure reste une véritable arme des députés et il serait très important de renforcer leur autonomie.

Mis à part ces points, il faut reconnaitre que l’une des forces de cette proposition c’est le double contrôle des textes (l’assemblée nationale et le sénat) aussi les garde-fous mis pour empêcher la déstabilisation des institutions et d’éventuelles modifications des textes.

Mais, il faut aussi comprendre les différentes crispations… la peur de l’inconnu, le doute, la crainte d’une volonté à s’éterniser au pouvoir. C’est tout nouveau, nous ne connaissons pas ce régime, il n’a jamais été expérimenté dans l’histoire politique du Togo ; il est impératif qu’un travail pédagogique soit fait, expliquer, débattre , faire comprendre, rassurer le peuple avant d’y aller. Cette pédagogie aurait due être faite en amont et non après que la machine soit lancée.

Toutefois, il ne semble pas encore tard. Heureusement que des discussions sont ouvertes. Il serait important de s’écarter des débats sans fondements juridiques. Il ne suffit pas de dire Non… il faut pouvoir dire pourquoi Non… à défaut ça restera que des discussions émotives.

C’est la constitution d’une nouvelle ère et il faut aller sur le fond… Que nous proposent-ils ? quelles sont les garanties que nous avons ? quels sont les points inconfortables ? discutons…

 

Nikada BATCHOUDI
Legal and Compliance Officer au Luxembourg.
Président de la « Diaspora pour la citoyenneté »

 

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