Énergie

Togo: Réforme du secteur de l’électricité, entre vérité des prix, justice sociale et souveraineté énergétique

Au prime abord, je ne voulais en rien jouer à l’avocat du diable ou défendre l’indéfendable dans cet article. La cherté de la vie actuelle pour tout Togolais ne permet pas une augmentation du prix de quelque produit que ce soit bien au contraire. Mais entre la nécessité d’avoir de l’énergie en permanence ou de subir le délestage perpétuel qui pourrait même aboutir à une coupure de l’électricité de plusieurs jours ou semaines comme c’est le cas au Mali actuellement, il serait impérieux de subir maintenant la douloureuse quitte à garantir des jours heureux à l’avenir en matière d’énergie.

Le Togo a récemment opéré un virage stratégique dans la gestion de son secteur énergétique. La nouvelle réforme mise en œuvre par le gouvernement, marquée notamment par l’ajustement du prix du kilowattheure à travers un décret, suscite de nombreuses réactions. Mais derrière cette mesure impopulaire en apparence auprès des populations, se cache une ambition plus profonde qui est de poser les bases d’une gouvernance énergétique responsable, équitable et tournée vers l’avenir. Il ne s’agit pas simplement d’augmenter le prix de l’électricité. Il s’agit de donner à la CEET les moyens de devenir un véritable acteur de développement, de garantir une couverture durable et équitable pour tous et de faire de notre pays un modèle de souveraineté énergétique en Afrique de l’Ouest.

L’ajustement des tarifs du kilowattheure récemment opéré par la Compagnie Énergie Électrique du Togo (CEET) bien qu’interprété comme une simple hausse de prix, doit être analysé comme l’élément visible d’une restructuration ambitieuse fondée sur des principes de justice sociale, de vérité des coûts et de souveraineté énergétique. Pendant de nombreuses années, le système électrique togolais a fonctionné selon un modèle déséquilibré, emprunt de corruption et de détournement entravant toute réforme durable.

Cette hausse des prix de l’électricité s’explique d’abord par une réalité économique. La CEET achetait de l’énergie, notamment à base d’hydrocarbures, à un coût très élevé, mais la revendait à un tarif largement subventionné, bien en dessous de son prix de revient. Malgré le soutien financier constant de l’État, la compagnie nationale fonctionnait structurellement à perte, une situation intenable sur le long terme pour un secteur aussi stratégique. Afin de mettre fin à cette spirale déficitaire et de poser les bases d’une véritable autonomie énergétique, le gouvernement togolais a décidé d’engager une réforme en profondeur.

Cette réforme s’inscrit non seulement dans une dynamique de vérité des prix, mais aussi de justice sociale. Pendant des années, les agents de la CEET ont bénéficié de tarifs forfaitaires préférentiels anormalement avantageux soit 20 F CFA par kilowattheure alors que le citoyen lambda, celui-là qui vit dans la précarité payait trois fois plus jusqu’à 60 voire 80 F CFA. Ces distorsions n’étaient pas seulement inéquitables, elles entretenaient un système où ceux qui sont rémunérés par les contribuables mensuellement profitaient encore de conditions bien plus favorables que les populations vulnérables.

En plus du personnel de la CEET, des catégories privilégiées de notre société telles que des ministres, hauts cadres, fonctionnaires et autres dignitaires du pouvoir étaient totalement exonérés de paiement ou paient à minima, tant pour leurs résidences principales que secondaires, chauffaient en continu leurs piscines, laissaient allumer les climatiseurs H24, disposaient de chambres froides etc. La réforme met un terme à ces pratiques. Désormais, tous les consommateurs sans distinction seront sur le même pied d’égalité et facturés selon les tranches de consommation en vigueur avec des contrôles renforcés pour détecter et sanctionner toute fraude ou manipulation de compteur.

La résistance à toute réforme, notamment de la part du puissant syndicat de la CEET, avait longtemps paralysé le secteur. Ces blocages ont empêché plusieurs ministres successifs de mettre en œuvre des mesures correctives, sous prétexte de défendre des acquis devenus indéfendables dans le contexte actuel. La réforme actuelle, portée avec fermeté par les autorités, a permis de trancher ces obstacles pour ouvrir une nouvelle ère de rigueur et de responsabilité dans la gestion de la chose publique.

La hausse du prix du kilowattheure ne constitue pas une fin en soi. Elle s’inscrit dans une stratégie plus large qui vise à assainir les finances du secteur, renforcer les capacités d’investissement de la CEET et permettre au pays de se doter de ses propres unités de production. L’objectif est de construire de nouvelles centrales sur le territoire national, réduire progressivement la dépendance aux importations et assurer à terme l’autosuffisance énergétique du Togo. C’est sur la base de cette réforme apprend-on que des partenaires veulent accompagner notre pays dans le secteur de l’énergie à travers un prêt de plusieurs millions de dollars.

La situation du Ghana voisin pays pourtant producteur de pétrole et de gaz vient rappeler l’urgence d’une telle stratégie. Ce pays fait aujourd’hui face à une dette colossale de 1,7 milliard de dollars dans le domaine de l’énergie, une crise qui menace son approvisionnement. En anticipant les dérives potentielles et en adoptant une gestion plus prévoyante, le Togo fait le choix d’une réforme certes exigeante, mais nécessaire pour son avenir.

Définie et vendue comme un passage à la rigueur et d’un rapprochement vers les populations, la Ve République se devait être un exemple de probité morale et de justice sociale. Voilà pourquoi l’exécutif togolais en prenant le décret consacrant la gouvernance sans tâche de la CEET, réaffirme sa volonté d’inscrire son action vers toutes les structures étatiques fondée sur la transparence, la rigueur et la performance. Cette réforme du secteur de l’électricité en est la première illustration concrète qui vise à rétablir l’équité entre les citoyens, mettre fin aux privilèges injustifiés, assainir la gestion d’un secteur clé et libérer les énergies pour une réelle transformation structurelle. Des indiscrétions disent que c’est le premier chantier attaqué et que d’autres suivront très bientôt. Pour que les Togolais puissent y croire, la formation du nouveau gouvernement en sera le baromètre dans un pays où tout a été souvent promis mais dans les faits la déception a souvent été de mise.

Anani Sossou

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